Re-tour de table sur les privilèges

Il y a quelques jours, j’ai eu l’occasion de participer à la table ronde “Regards croisés sur la pratique professionnelle du design, la parole aux étudiants” durant la semaine Ethics by Design organisé par Designers Éthiques. Sélectionné, avec trois autres designers, après avoir participé à un appel à candidature, j’ai pu parler de mon parcours de designer humanitaire.

D’ailleurs si vous souhaitez lire ma candidature, la voici:

Abstract – Appel à candidature Ethics by Design

ethics by design programme

Toutes les images sont issues et créées par Designers Éthiques.

Cependant si j’écris cet article, c’est pour une autre raison. C’est pour une réponse que j’ai faite qui m’a tracassée. Non pas que la réponse était mauvaise (je n’ai pas encore vu le replay) mais plutôt que la manière était trop brouillonne pour me lancer dans ce type de réponse.

1. Introduction

Pour celleux qui n’ont jamais lu mes articles, j’ai passé mes trois dernières années dans le domaine humanitaire, et notamment à Lesbos en Grèce. Pendant cette période j’ai notamment essayé de rapprocher le design de l’humanitaire. Au point de lancer en béta un site internet Humanitarian Designers:

bit.ly/hdesigners

Et l’une des thématiques qui a facilité ce rapprochement pour moi, c’est la communication.
Certes, la vidéo, la photographie, les documentaires, les interviews, le graphisme, les réseaux sociaux sont des médiums qui me plaisent et que j’ai eu plaisir à développer. Mais c’est surtout les thématiques sur l’éthique, le “white saviourism” et le “white privilege” qui ont matché avec mes valeurs engagées de designer. Alors rapide mise à niveau.

Le White Saviour Complex (le complexe du sauveur blanc) est un concept assez connu dans le domaine du volontariat et de l’aide humanitaire. Souvent rattaché au “volontourisme”, c’est l’idée que des personnes occidentales vont en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud, pour “offrir généreusement de leur temps et aider des personnes dans le besoin”. Malheureusement, la plupart du temps ces personnes viennent avec de mauvaises intentions (sans forcément s’en rendre compte):

  • Se mettre en avant comme un·e héro·ïne qui sauve des gens. Le cliché du selfie avec un enfant noir.
  • Dicter des solutions propres aux Occidentaux sans essayer de comprendre la culture locale et sans demander aux locaux si c’est ce dont iels ont besoins.
  • En ressortir avec “une expérience choquante et enrichissante” qui ne sert finalement qu’à se conforter dans ses privilèges plutôt que de remettre ces privilèges en question.

Ce sont des listes non-exhaustives sachant que chaque notion pourrait être un article entier.

Le White privilege (privilège blanc) est le fait que certaines communautés sont beaucoup plus avantagées que d’autres, et principalement les hommes blancs (comme moi). Une très belle conférence de George Aye parle de pouvoir d’une manière très intéressante: “combien de fois vous pouvez faire Ctrl+Z dans votre vie? Si quelque chose dans votre vie tourne mal, et que vous pouvez faire Ctrl+Z plusieurs fois avant de vous retrouver sans toit ni nourriture… c’est que vous avez beaucoup de privilèges”. Et autant dire que j’aurais besoin de plusieurs mains, rien que pour compter mes ami·es, mes parents, ma famille, l’état.

Bref. Sans rentrer dans les détails de ma vie, je n’ai aucun mal à dire que je suis quelqu’un de très privilégié. Je n’ai pas eu besoin d’emprunter à une banque, ni de travailler pour payer mes études de design dans une école privée. Et j’ai pu profiter du CROUS et des bourses régionales pour le logement et les Erasmus.

2. Le problème

Du coup l’une des questions qui est apparu durant cette table ronde était la suivante: “vous parlez de design humanitaire, mais comment faites-vous pour vous financer dans cette voie, si elle n’existe pas? Est-ce que vous trouvez des financements, faites du démarchage auprès des ONG, living labs, municipalités, …”

Auquel j’ai répondu: “non, je suis simplement privilégié.” Et avec tout ce que je viens de vous dire, cette réponse fait sens bien qu’elle suive un ton engagé. J’ai conscience que cette réponse peut gêner, mais je choisi cette démarche car j’espère surtout qu’elle peut faire s’interroger des designers et les pousser à prendre plus de risques au vu de leurs privilèges. J’ai élaboré sur le sujet et c’est peut-être là que je me suis embrouillé:

“Non je suis simplement privilégié. Je n’ai pas de besoins financiers particuliers: je n’ai pas d’enfants, pas de dettes, pas d’obligations particulières… donc quand j’ai été diplômé, j’ai voulu aller à Lesbos… et j’y suis simplement allé. Sur place, en tant que coordinateur je ne perdais pas d’argents, ni j’en gagnais, mais c’était un choix. Et si un jour je me ratais, je savais que je n’aurais aucuns problèmes particuliers. Comme le dit George Aye, je pourrais toujours faire Ctrl+Z, appeler mes parents et rentrer en France. Du coup, ce n’est pas grave si je rate. Donc en ayant conscience de ce privilège j’ai décidé de tenter pour voir ce que ça donnerai. Et je pense que beaucoup de designers qui sortent de l’école et qui sont dans la même situation, pourraient prendre le même type d’initiatives.”

De mémoire, c’était plus confus. Disons que ce paragraphe était mon intention mais peut-être pas ma réalisation.

Ce qui m’a vraiment énervé dans ma communication, c’est cette phrase en gras. Parce qu’avant de participer à cette table ronde, j’avais préparé des réponses. De la même manière qu’une interview pour un emploi: je voulais mettre en avant certains projets ou certaines idées. Et cette phrase en gras… cette phrase devait être une critique sur le privilège, et non pas une manière de décrire mon privilège. Tel est pris qui croyais prendre. Mais du coup cela ne représente pas ma posture. Dire “ce n’est pas grave si je rate” alors que mon travaille principal est d’aider des gens dans un contexte humanitaire est un non-sens absolu connaissant les conséquences potentielles dramatiques qu’un échec pourrait avoir.

En effet, c’est une idée que j’avais déjà abordé dans un article précédant “Social design in Europe (En)” et qui critiquait les start-ups. En gros, l’assomption est que “le modèle de développement des start-ups empêche par définition toutes start-ups d’avoir un développement réellement social ou environnemental.” J’avais en tête d’aborder les citations issues de la Silicone Valley, tels que “demande le pardon plutôt que l’autorisation” et tous ces articles Medium sur “comment j’ai construit mon succès grâce à tous mes échecs” qui sont pour moi le summum du privilège (ainsi que de la culture américaine).
J’ai l’impression que ce motto a évolué du classique “il faut apprendre à se relever de ses échecs” à “promouvoir tous ses échecs comme s’ils étaient plus pertinents que n’importe quel succès”. Et on en arrive à l’aberration que des gens montent des start-ups, reçoivent des millions de dollars pour des idées non-viables, ratent en créant un amas de dommages collatéraux humains et environnementaux… et, de par leurs privilèges, ne risquent absolument rien en tant qu’individu. Au contraire, ils vont promouvoir combien d’argents ils avaient réussi à récolter et ont va leurs en donner encore plus. Bref, sujet au combien énervant vu que les start-ups sont promues comme LE modèle à suivre dans nos écoles.

Vous avez probablement fait le rapprochement avec ma phrase en gras. Ce n’est peut-être qu’un détail de quelques secondes, mais au combien important pour moi. J’en ai d’ailleurs complétement raté ma réponse suivante (cringe). Et du coup, cette phrase m’a fait douter du reste de ma réponse. “Et si j’avais mal formulé une autre phrase sans forcément m’en rendre compte? Et si j’avais été insultant sans m’en rendre compte auprès d’une communauté auquel je tiens?”
C’est une thématique que je travaille beaucoup, mais j’aurais peut-être dû être plus patient avant d’en parler devant une si large audience.

ethics by design

 3. La communication et l'inclusion

J’assume les prises de positions assez tranchées dans ma communication, surtout à l’écrit. Je réalise maintenant que je dois faire deux fois plus attention et qu’il arrive malgré tout de faire des erreurs.

De ces erreurs peuvent naitre de plates excuses. Car le privilège a de nombreux défauts: l’un d’entre eux est celui de ne jamais ressentir le besoin de s’excuser, même confronté face à des faits. Donc, je suis désolé si j’ai mal formulé cette réponse dans son ensemble. Si cette réponse a heurté des personnes. C’est un sujet que je développe avec la plus grande attention et forte intention. Mais parfois, surtout dans cet exercice oral, ça rate.

Comme je l’ai déjà dit, la communication est un sujet très important pour moi. Depuis que je suis rentré en France, il y a quelques mois, j’étends cet intérêt à d’autres domaines, d’autres thématiques tels que le consentement, la communication inclusive, l’écriture inclusive, les relations humaines, … notamment dans le milieu LGBTQI+ et le milieu associatif. Sujets que j’aimerais développer plus tard. Mais c’est encore trop difficile, donc cette fois-ci je m’abstiendrai. Car ce sont des domaines qui, si mal intégré dans leurs pratiques et leurs communications, peuvent causer pas mal de tort aux lecteur·ice·s et auditeur·ice·s, ce qui n’est pas mon but.

Et c’est l’une des conclusions de cet article. Si l’on souhaite être une personne plus inclusive, lire ne suffit pas. Un peu comme le design éthique finalement: il faut s’engager et pratiquer, à l’écrit ou à l’oral. Et c’est ce que je fais aujourd’hui au travers de cet article.

Par exemple, je me suis rendu compte en écrivant cet article, que, dès que je parlais d’homme blanc privilégié, je parlais à la troisième personne du pluriel. Comme si je n’en faisais pas parti. Tel un réflexe instinctif pour se protéger, puisque je prends une position à charge. Mais vous l’aurez compris au fil de cet article, ce n’est pas le but, du coup j’ai corrigé le texte.

J’ai conscience que d’autres thématiques sur lesquels je me suis prononcé, tant à l’oral qu’à l’écrit, aurait mérité d’être mentionné/corrigé dans cet article. Mais une certaine lisibilité doit être respecté. J’ai conscience que mon point de vue d’homme hétéro-cis blanc ne sert pas à faire avancer le sujet de l’inclusion. Mais comme c’est un blog personnel, il m’aidera au moins à faire avancer ma propre pratique de l’inclusion, un pas après l’autre, en tant que designer éthique et engagé.

4. Bonus

Allez, le replay vient d’être partagé en ligne donc le voici.

Je tiens à préciser que je n’ai pas édité mon article à la suite du visionnage afin de garder le message principal.

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